Vol au-dessus du 53e parallèle…

Nos passes de festival sont achetées, l’hôtel est réservé, la liste des shows à voir est dressée : les chèvres prendront la route vers Rouyn à la fin de la semaine pour assister au FME qui célèbre ses 10 ans cette année. Au coeur de la forêt, aux abords des mines et de l’eau, je referai une partie de la route qui m’a conduite, il y a 6 ans maintenant, vers un périple d’un an en Jamésie.

Je vous avais déjà ouvert la porte de mes souvenirs de la Baie-James dans un billet précédent. En plus, je vous avais promis une suite. Lente fut-elle à aboutir, mais il y a de ces événements fortuits, comme ce road trip des chèvres en terre abitibienne, qui me rappellent des tranches de vie bien précises. Voici quelques moments éparpillés qui ont marqué cet été 2005, où je me suis exilée à 1281 kilomètres de la maison. Suite dans un prochain épisode.

La serveuse aux bras de fer 

Jamais je n’avais vu dans un bar de la grand’ville une serveuse aux bras de fer et à la stature aussi imposante que celle qui régnait derrière le comptoir du bar de Radisson. Elle imposait le respect derrière ses mèches en hérisson multicolores. Sans compter que je me sentais comme un petit caneton couvé par sa maman lorsqu’elle dégommait les quelques autochtones éméchés qui dormaient dans le stationnement ou qui essayaient tant bien que mal de faire causette avec notre petit groupe de cinq-à-septeux. Elle faisait régner la loi et l’ordre : une vraie main de fer près d’un décolleté de velours. Je la vois encore dans sa décapotable blanche, roulant à vive allure dans la garnotte des rues du village, avec son caniche sur les genoux. Un clash épique digne d’un western nordique moderne. 

Bleuets sauvages 

Je vivais dans une petite maison mobile, seule, où je m’endormais souvent au son du vent qui soufflait à travers les craques des murs. Quelques fois, c’était la lueur verte des aurores boréales qui me tenait éveillée. Ou bien, c’était les phares des pick-ups qui passaient lentement, trop lentement, dans ma rue…

Toc toc toc, il est minuit et demi. Mes réflexes de citadine font en sorte que je me retrouve en moins de deux dans mon garde-robe, une couverture sur la tête. Bon, je me résonne et me dis que tout le monde se connaît dans les 10 rues du village, qu’au pire je tomberai sur quelqu’un voulant m’aviser que les ours charcutent mes poubelles. Je redouble quand même de prudence : je sors sur mon balcon et j’aperçois un joyeux luron en train de se soulager la vessie dans la plate-bande de petits fruits qui borde ma maisonnette.

Moi : Euh oui, je peux t’aider? Tes toilettes ne fonctionnent pas?

Lui : Heyyyyyy, ça vaaaaaaa? Je trouvais que tes bleuets étaient pas mal p’tits, faque  j’ me suis dit qu’ils avaient besoin d’engrais! Ça vaaaaaa, je peux-tu rentrer pour une bière?

Moi :  Pourrais-tu revenir brouter mes plates-bandes un autre moment donné? Yé 1 heure du matin!

Il est reparti aussi vite qu’il a arrosé mes plantes en roulant  à 5 kilomètres/heure dans son vieux pick-up.Et moi je suis restée un bon moment sur mon balcon, ébêtée, ma couverture encore sur la tête.

Jack Sakami

Les guides hydro-québécois de passage pendant l’été avaient trouvé un joli poussin sur le bord de la route de la Baie-James. Vite adopté comme animal de compagnie et emblème du bureau des guides, ces derniers l’ont bichonné comme on s’occupe d’un chien ou d’un chat. Jack Sakami, aussi frêle qu’une petite souris, nous accompagnait autour des feux de camp, bien lové dans un manteau ou dans une poche. La mascotte à plumes jaunes a rendu l’âme quelques semaines après avoir été rescapée, sûrement à cause de sa fragilité. Appelons ça une vie de poussin pas comme les autres…

Christian, nom fictif, vie cachée 

Il était concierge à ses heures quand il n’était pas assis au bar à boire sa paie. Mon voisin, yeux hagards et cheveux en bataille, était de ceux qui préféraient geler leur conscience et la lourdeur de leur quotidien dans le froid nordique. Christian m’avait parlé vaguement de ses dettes d’argent, d’une peine d’amour encore souffrante, de jours sombres dans une ancienne vie. Je lui ai demandé du sucre un soir; le lendemain, sa porte de maison était grande ouverte. Les lieux avaient été vidés. Seule sa bicyclette trônait en plein milieu du salon. Il avait pris la fuite pendant la nuit, son nirvana saboté, sa bulle éclatée, pourchassé par un passé pas si lointain.

Le panache et le corbeau

Habiter le Nord, c’est aussi devoir apprivoiser les traditions disons…particulières des chasseurs. Car la chasse n’est presque pas une option, c’est l’activité de prédilection de la majorité des Jamésiens. Le choc suprême a plutôt été de voir ses autres voisins dépecer PUIS décapiter leur trophée de chasse. Ce dit voisin (et non madame!) a même eu la charmante idée d’exposer la tête de la pauvre bête devant la maison. Si je devais choisir entre une tête de caribou ou une infestation de flamants roses et de mouffettes en plastique comme décorations extérieure, le choix m’apparaîtrait plutôt évident. Bref, il aura fallu que la municipalité fasse comprendre à Jean-Guy, ce Jack the Ripper du Moyen Nord, que les corbeaux avaient commencé à dévorer sa tête de gibier. L’acabit a aussitôt été remplacé par…oh comble du malheur!… un petit noir avec une lanterne à la main. Misère …

Wachya, Radisson!

J’ai débuté ma dernière journée à la radio comme la première : mon coeur battait la chamade et j’avais le trémolo dans la voix. J’ai jeté un coup d’oeil par la fenêtre et j’ai aperçu ma mère, assise dans son auto en train de synthoniser le 103,1 FM. Elle écoutait mon mot de fermeture attentivement, les larmes de fierté coulant sur ses joues.

J’ai fermé mon micro après une année de travail, isolée de presque tout, mais libre d’avoir plongé dans un monde d’aventures. Après ces dernières minutes en ondes ou tristesse, fierté et fatigue s’entremêlaient, je suis allée saluer mes auditeurs en personne. Petit arrêt à l’épicerie du village, au garage, au bureau de poste, chez le curé, à l’école, au hangar d’hélicoptères. Des au revoirs identiques à la run de lait que j’avais faite 1 an auparavant afin de me présenter. C’est en allant saluer le propriétaire du hangar d’hélioptères que j’ai rencontré Louis, un de ses pilotes, visiblement conquis par le choix des chansons rock que j’avais faites tourner à la radio pendant l’année. Il m’a proposé de l’accompagner pour une job. On a donc continué à parler d’ACDC et de Kiss en direction de la mine d’or Éléonore près du réservoir Opinaca.  Allez, hop, en moins de deux je troquais le micro d’animatrice radio contre les bottes en caoutchouc de co-pilote!

En ayant contemplé une dernière fois l’immensité et la beauté du paysage, tout en raflant les pierres de l’évacuateur de crues – le fameux escalier de géant –  de LG2, j’avais l’impression de voir défiler chaque moment de cette année passée dans cette contrée aussi perdue que pourvue d’un certain exotisme : du vent froid du Nord à la peine d’amour qui m’avait broyée le coeur au printemps, en passant par les pizzas au caribou et aux petits fruits que je ne retrouverai jamais ailleurs et aux promenades en ski-doo sur une couche de diamants, je n’oublierai jamais mes 21 ans.

Chèvre-Laine

7 réflexions sur “Vol au-dessus du 53e parallèle…

  1. Super ! la description de Marilyne m,a fait sourire et ravivé des nombreux souvenirs que j’ai dans ce bar 🙂
    Peu importe le temps passé là-bas, je crois que c’est une expérience inoubliable !

  2. Je viens de lire tes deux billets après une recherche sur la route du nord où je me suis aventuré en 2011, pour aller dormir une seule nuit au bout de la route, après Chissasibi, sur le bord de l’océan de la baie James, où il faisait +5,c en juillet, et où j’ai passé la matinée – une seule – à Radisson, le temps de faire le plein, de faire le tour du village – de la ville dis-je – de déjeuner, et de revenir au sud. Bref, je vais retourner au nord un de ces jours, y passer une semaine ou deux à Radisson, et laisser passer le temps. Merci pour ton récit remplit de nostalgie.

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